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Les paradoxes de l’intégration eurasiatique

Дата: 22 августа 2020 в 12:15 Категория: Новости авто


Les paradoxes de l’intégration eurasiatique
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Au cours des années d'indépendance, le Kazakhstan a initié et participé à la création d'un certain nombre d'organisations multinationales, mais aucune d'entre elles, sans doute, n'a donné lieu à des avis aussi contradictoires que l'Union Économique Eurasiatique (UEE). L'idée fut proposée à l'origine en mai 1994 par Noursoultan Nazarbaïev. Deux ans plus tard, un accord permettant de renforcer la coopération économique et humanitaire fut signé entre le Kazakhstan, la Biélorussie, le Kirghizistan et la Russie (le Tadjikistan rejoindra le groupe des quatre pays à ce moment-là). Un Comité d'Intégration fut créé et dirigé par le premier Vice-Premier Ministre du Kazakhstan, Nigmatjan Isingarin. L'étape suivante fut la signature en octobre 2000 d'un accord sur la création de la Communauté Économique Eurasiatique, qui comprendra la Biélorussie, le Kazakhstan, la Russie, le Tadjikistan et le Kirghizistan (l’Ouzbékistan en sera membre également sur la période 2006-2008). Le Premier Secrétaire Général de l'UEE fut alors le représentant de la Russie, le Général Grigori Rapota, avant d’être remplacé en octobre 2007 par le diplomate kazakh et maire de la région du Kazakhstan Septentrional, Tair Mansurov. Au même moment, la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie signèrent un accord portant sur la création d'un territoire douanier unique et la constitution d’une union douanière. En mai 2014, ces mêmes pays signèrent un accord sur l'Union Économique Eurasiatique, rejoints en 2015 par l'Arménie et le Kirghizistan.

Quel est le sens de l'intégration eurasiatique et pourquoi le Kazakhstan en a-t-il besoin ? Tout d’abord, il serait insensé de nier que les économies des États post-soviétiques, même après 30 ans d'indépendance, restent encore étroitement liées, du moins géographiquement. La simple suppression des barrières inutiles offre en soi des possibilités de développement de la coopération économique frontalière et interétatique. Deuxièmement, des formes raisonnables d'intégration économique au niveau de la région peuvent donner lieu à des formes de coopération politique entre nos États. Troisièmement, alors que la question de l'admission des marchandises et de la main-d'œuvre des pays de l'UEE vers le Kazakhstan est en cours de résolution, se développe également le transfert de marchandises et de spécialistes kazakhs vers les marchés des pays de l'Union. Il existe une opinion assez étrange selon laquelle l'intégration eurasiatique ne bénéficierait qu’à la Russie qui « inonderait » les marchés voisins (y compris le Kazakhstan) de «ses marchandises de mauvaise qualité». Or, il n’y a aucune obligation d’achat communautaire au sein de l'UEE. L'acheteur choisit le prix/la qualité en fonction de ses préférences, et compte tenu des dévaluations régulières qui ont frappé les monnaies locales ces dernières années, les produits des autres pays, comme ceux d’Europe occidentale, deviennent de fait peu abordables pour le consommateur kazakh moyen. La même question se pose pour les biens nationaux, où pour assurer la production, l'État lance périodiquement des programmes de diversification et de substitution pour réduire les importations. Malheureusement, la qualité et l'efficacité de ces programmes sont discutables, ce qui fait que la dépendance du marché intérieur vis-à-vis des biens importés reste peu ou prou la même, et que le pétrole, le gaz, les métaux et les céréales restent les principaux produits exportés. Comme dans le cas de la politique des taux de change, la question de la qualité des programmes économiques ne devrait pas être adressée aux différents partenaires au sein de l'UEE, mais au gouvernement national et à la Banque Nationale. De la même manière, certains disent que le potentiel de production de biens de qualité supérieure, qui devrait être géré par des programmes de développement au niveau national, devrait viser non pas les marchés russe ou d’Asie Centrale mais les marchés américains ou d'Europe de l’Ouest. Cette idée, de toute évidence, semble séduisante, mais il faudrait en premier lieu apprendre à manufacturer ces produits, avant de chercher à être compétitif par rapport aux pays voisins.

Bien sûr, si l'on pouvait choisir ses voisins, de nombreux Kazakhs auraient préféré avoir des frontières communes avec les États-Unis, le Japon, la France ou d’autres, mais l’Histoire a fait que notre pays se trouve entre la Russie, la Chine et l'Asie Centrale, et il semble que cette réalité ne soit pas près de changer. L'Histoire n’est pas basée sur des « et si » ou des « peut-être », et il se trouve que celle du Kazakhstan est étroitement liée à celle de ses voisins.

Au cours des dernières décennies, l'opinion publique, le monde des historiens et des journalistes ont été obnubilés par l'idée que le Kazakhstan avait été victime de la politique coloniale de la Russie et de l'Union soviétique, ce qui a influencé — directement ou indirectement — les relations russo-kazakhes d’aujourd’hui. En plus du caractère incomplet de cette vision, ce serait faire fi du poids de plusieurs siècles d’histoire ayant marqué les relations entre les peuples slaves et turcs. Ces derniers, selon l’Histoire, ont trouvé leurs origines dans l'Altaï et ont successivement écrasé les États chinois et ceux d'Asie Centrale, avant de poursuivre leurs campagnes de conquêtes vers l'Ouest, balayant de nombreux États sur leur passage. L'ancienne Russie, qui entretenait déjà des relations difficiles avec ses voisins, les Kipchaks, devint ensuite une partie de l'Empire mongol au XIIIème siècle. Pour autant que l'on sache, les compagnons d’armes de Gengis Khan ne se soucièrent guère de faire l’unanimité ou des normes de droit international. Si la Russie souffrit sur le plan humain du «joug mongolo-tatar», elle ne fit que l’emporter sur les plans historique et politique. Le peuple fut en effet rassemblé au sein d’un état, qui accèdera progressivement au rang de superpuissance que nous lui connaissons aujourd'hui.

Je me souviens que le Comte Uvarov, Ministre de l' Éducation de l'Empire Russe, auteur de la fameuse formule «Autocratie, Orthodoxie, Nationalité» venait de la Murza Minchak Kosaevich avant de passer au service russe ; et le Ministre de la Guerre et créateur des colonies militaires agricoles, le Comte Araktcheïev, avait pour ancêtre le Tatar baptisé Arakchey Evstafiev…

La Grande-Principauté de Moscou se renforça et se déplaça vers l'Est, écrasant les fragments de la Horde d'Or dont il faisait lui-même partie. Comme dans le film, Kazan fut prise, Astrakhan fut prise. Puis la Horde Nogaï, les khanats de Sibérie et de Crimée tombèrent.

Il est intéressant de noter que les Mongols se sont dirigés vers l'Ouest, visant l'Europe Occidentale et non pas la Russie. La Russie tomba dans leur escarcelle seulement par la suite. En plus des petites batailles à Kalka et sur la rivière Sit, presque toutes les batailles de la période de conquêtes mongoles se réduisirent au siège et à la prise d'assaut des villes. Le khanat kazakh tomba également dans l'Empire russe ; ce dernier partit d’Orient dans le but de conquérir les États d'Asie Centrale et, plus tard l'Inde, plutôt que le khanat kazakh, qui — volontairement et obligatoirement – se retrouva à faire partie de l'empire. Aucun écho de résistance farouche dans l’Histoire, ni de «bataille générale». Et à la fois dans le cas de la conquête de la Russie par les Mongols et dans celui de l'expansion russe en Asie Centrale, le camp perdant reçut du vainqueur beaucoup plus que ce qu'il aurait pu obtenir si l'armée impériale n’était pas passée par là. L'absence de frontières naturelles entre les mondes slave et turc en Eurasie a finalement déterminé que, naturellement, ils se retrouvaient à vivre ensemble dans les limites d'un seul État.

L'idée eurasiatique, sur laquelle les historiens divergent souvent entre eux, est bien plus large qu'une simple liste de revendications émanant de chaque État ; il s’agit plutôt un phénomène culturel et politique. Et la valeur de l'intégration eurasiatique réside dans le fait que nous parlons d'une nouvelle union civilisée fondée sur une mentalité et un destin historique communs. La Russie ne serait pas devenue une superpuissance si elle n'était pas passée par la conquête mongole. Le Kazakhstan ne serait pas devenu un État agro-industriel développé sans la modernisation soviétique. Aujourd'hui, objectivement parlant, il n'y a pas nécessairement de conditions à la création d'un État unique, le projet eurasiatique ne faisant que s’inscrire dans la continuité du cours de l'histoire. Il faut toutefois saluer ici la persévérance et la détermination de Noursoultan Nazarbaïev, qui fut le premier homme politique eurasiatique à saisir le cours de l'histoire.

Daniyar Ashimbaev, politologue, chercheur principal à l’Institut de Sécurité et de Coopération en Asie Centrale

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