La politique étrangère du Kazakhstan a toujours eu pour objectif de créer des conditions extérieures favorables à un développement socio-économique durable du pays. Ses priorités ont toujours été le développement de la coopération économique avec les pays voisins, la diversification de ses exportations, l'attraction des investissements étrangers et l'ouverture de nouveaux marchés pour les marchandises kazakhes.
La stratégie «Kazakhstan-2050» a fixé la tâche de «développer la diplomatie économique et commerciale pour protéger et promouvoir les intérêts économiques et commerciaux nationaux». Dans son message «Le Kazakhstan dans une nouvelle réalité : le moment d’agir», Kassym-Zhomart Tokaïev a noté que dans les nouvelles conditions, attirer les investissements dans le pays et exporter des biens et services nationaux est une priorité de premier ordre pour le gouvernement. La nouvelle réalité n'est pas seulement celle des masques et des gants, de l'auto-isolement et des vidéoconférences. C'est aussi une crise économique mondiale, un déclin du commerce global et une diminution des flux d'investissements directs étrangers (IDE). Dans notre pays, le cadre législatif nécessaire a été mis en place, des documents de programme ont été adoptés, des institutions ont été créées pour soutenir les exportations et attirer les investissements étrangers.
Toutefois, il faut noter que la stratégie nationale d'investissement a été adoptée en 2018, alors que la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) et toutes les institutions financières internationales prévoyaient une croissance du commerce international et des flux d'IDE, en particulier vers les pays en développement.
Le coronavirus a profondément changé la donne.
La CNUCED affirme aujourd'hui que le volume du commerce mondial devrait diminuer de 20 % d’ici la fin de l’année, et le volume mondial des flux d'investissements directs étrangers de 40 %. Les pays en développement seront sans aucun doute les plus touchés.
Si en 2019, le volume mondial des investissements directs étrangers s'élevait à 1500 milliards de dollars, il sera inférieur à milliards cette année. Il s’agit du niveau le plus bas enregistré depuis 2005 selon le rapport de la CNUCED. Les prévisions pour les années à venir sont également décevantes. En 2021, les flux d'investissement diminueront encore de 5 à 10 %. Une légère reprise devrait avoir lieu, mais pas avant 2022.
La crise est exacerbée par les guerres commerciales et les sanctions réciproques.
S'exprimant lors du Forum des Nations Unies intitulé « Financement pour le Développement à l'Ere du COVID-19 et Au-delà», qui s'est tenu le 28 mai en vidéoconférence, Kassym-Jomart Tokaïev a déclaré :
« La communauté internationale doit cesser d'imposer de nouvelles mesures restrictives sur le commerce, qui ont été multipliées par près de dix en deux ans. Le commerce international doit retrouver son véritable rôle de moteur du développement ».
Il convient de noter que les mesures restrictives sur le commerce, plus communément appelées sanctions économiques, ne sont pas apparues avec le coronavirus, mais bien avant. L'une des premières décisions documentées d'imposer des sanctions a été prise par Athènes dès 432 avant J.-C., à la veille de la tristement célèbre guerre du Péloponnèse. Des mesures restrictives furent prises à l'encontre de Mégara, alliée de Sparte et hostile aux Athéniens. Les Mégaryens, sous peine de mort, se virent interdire de commercer et de vivre dans les ports et territoires qui étaient sous le contrôle d'Athènes. Cette décision est devenue, selon l'historien Thucydide, la preuve du piège dans lequel tombent inévitablement l'État dominant et l'État capable de contester cette domination. Et aussi cette étincelle d’où est partie cette flamme de la guerre, suicidaire pour Sparte et Athènes. Les historiens estiment qu'il est fort probable que de telles mesures restrictives aient été prises encore plus tôt, du temps de Sumer et l'Égypte Antique.
Depuis, les sanctions ont été et restent un élément invariable des relations internationales. Seules les sanctions adoptées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies au nom de l'ensemble de la communauté internationale ont une légitimité inconditionnelle. Or, force est de constater que ces sanctions sont presque toujours dirigées contre des pays économiquement beaucoup plus faibles et dépendant des décideurs de ces mêmes sanctions. C'est la raison pour laquelle les États-Unis les utilisent le plus souvent comme un instrument de pression politique. Mais on peut aussi rappeler les récentes sanctions russes contre la Turquie, et la tentative de blocus économique du Qatar par l'Arabie Saoudite et ses alliés.
Selon le Peterson Institute for World Economy, sur 174 cas de sanctions répertoriés au XXe siècle, 109 l’ont été à l’initiative des États-Unis, 16 du Royaume-Uni, 14 de l'Union Européenne, 13 de l'URSS/Russie, et seulement 20 de la part de l'ONU.
Les sanctions américaines s’appuient sur leur supériorité écrasante que ce soit sur le plan économique, financier ou technologique. En même temps, les lois de sanctions adoptées par le Congrès sont généralement constituées de formulations assez vagues qui permettent de les interpréter de différentes manières selon les circonstances. Selon les experts, il serait possible, à partir des lois déjà adoptées, de maintenir le statu quo, de renforcer les sanctions existantes et d'en introduire de nouvelles.
En outre, les États-Unis disposent d'un mécanisme efficace de contrôle de la mise en application de ces sanctions, comprenant notamment un système développé d'amendes en cas de violation.
De nombreuses études semblent cependant montrer une efficacité relativement faible de ces sanctions en termes d’atteinte des objectifs politiques. Ainsi, des décennies de sanctions économiques contre Cuba, le Soudan, l'Iran, la Corée du Nord et un certain nombre d'autres pays n'ont pas permis de déstabiliser les régimes politiques en place. En même temps, les coûts humanitaires, engendrés par la famine et les maladies dans les pays sanctionnés, ainsi que l'impact négatif sur le commerce mondial dévaluent tout résultat obtenu aux yeux de nombreux pays
De nos jours, l'objectif des sanctions est de plus en plus de contenir le développement technologique d'un pays rival.
Au début du XXIe siècle, l'économie mondiale a élaboré un certain nombre de normes et de règles basées sur l'expérience des démocraties libérales (États-Unis, Canada, Japon, Australie, Europe). Cette expérience supposait que l'interaction entre l'économie, dont les principaux acteurs sont des entreprises privées, et la politique étrangère, dont les principaux acteurs sont des États souverains, était unilatérale. Elle a été résumée dans la célèbre formule du dirigeant du géant américain de l’automobile de la manière suivante : « Ce qui est bon pour General Motors est bon pour l'Amérique ».
Lorsque les entreprises chinoises sont devenues des acteurs incontournables au niveau mondial, elles ont, elles aussi, observé les règles de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce), à ceci près que : « Ce qui est bon pour la Chine est bon pour la CNPC (China National Petroleum Corporation)/ ZTE / Huawei ».
Cela a dans un premier temps suscité de vives critiques à l'égard de la Chine, avant de conduire à l'introduction de restrictions sur les investissements chinois dans les secteurs de haute technologie.
Ainsi, début août, le Président américain Donald Trump a signé un décret « sur la lutte contre la menace TikTok », interdisant toute transaction avec le propriétaire de cette application, ByteDance. TikTok est soupçonnée de collecter des données personnelles à des fins de chantage, d’avoir des activités d’espionnage industriel et d'organiser des campagnes de désinformation au profit du Parti Communiste chinois.
Sous le même prétexte, le durcissement des sanctions contre Huawei se poursuit, avec des tentatives américaines pour les refouler de leur marché, ou des marchés de leurs alliés, et même des sanctions imposées à toutes les entreprises qui coopèrent avec Huawei.
« L'administration Trump considère Huawei comme ce qu'elle est : à savoir une agence de surveillance gouvernementale du Parti Communiste chinois, et nous avons pris les mesures appropriées », a déclaré le Secrétaire d'État Mike Pompeo.
Jamais les sanctions économiques n'ont été utilisées aussi souvent et aussi largement qu'au cours des cinq dernières années. Et surtout, jamais auparavant ces sanctions n'ont autant touché les intérêts nationaux du Kazakhstan qu'aujourd'hui. En effet, les principales cibles de ces sanctions sont nos deux principaux partenaires commerciaux et financiers, à savoir la Russie et la Chine.
Il faut partir du principe que les sanctions contre la Russie et la Chine ne sont hélas pas de simples mesure ad’hoc à court terme, mais qu’elles représentent bel et bien la nouvelle normalité. La proximité de l'économie kazakhe avec les économies russe et chinoise est très élevée et cela ne devrait guère changer, étant donné le vecteur d'intégration eurasienne et la conjonction des programmes gouvernementaux kazakhs dans la Nouvelle Route de la Soie.
Par conséquent, les sanctions doivent devenir un élément dont nous devons tenir compte dans nos plans et prévisions à moyen et long terme. En outre, les mesures visant à en limiter l'impact devraient même devenir un élément obligatoire de la planification stratégique.
Les principaux objectifs de la diplomatie économique du Kazakhstan sont les suivants :
• le soutien aux entreprises kazakhes sur les marchés étrangers
• l’attraction d’investissements étrangers au Kazakhstan, contribuant à des transferts de technologies et à la création d’emplois
• l’harmonisation des normes et des réglementations entre l’OMC et l’UEEA (Union économique Eurasiatique) avec les intérêts économiques du Kazakhstan.
Le succès et l'efficacité de la diplomatie économique sont déterminés par la conjugaison de trois facteurs — diplomatique, économique et juridique.
Un département de politique étrangère fort et efficace, doté d'un réseau de missions à l'étranger, des pouvoirs nécessaires pour coordonner les activités économiques extérieures des organes de l'État et pour négocier les questions économiques étrangères, assure la protection et la promotion des intérêts économiques de l'État en utilisant un large éventail d’outils, de moyens et de méthodes de la diplomatie traditionnelle.
La présence d'un potentiel d'exportation répondant aux besoins des marchés mondiaux, un climat favorable aux investissements, la présence des ressources humaines, financières, scientifiques et techniques nécessaires permettront de donner des débouchés concrets aux accords diplomatiques conclus.
Pour permettre l'élaboration d'une stratégie à long terme de promotion des intérêts nationaux, les normes et règles en matière de commerce et d’investissement international doivent être acceptées au niveau global et régional, ainsi que les organisations internationales pour garantir le respect desdites règles (OMC, UEEA).
Le Ministère des Affaires Etrangères, en coopération avec d'autres agences gouvernementales, est en mesure de créer des conditions favorables pour les exportateurs kazakhs sur les marchés étrangers, pour la diversification des exportations de produits transformés à forte valeur ajoutée, pour les investissements étrangers et le transfert de nouvelles technologies.
Ceci dit, la diplomatie économique et l'économisation de la politique étrangère ne pourront pallier le développement économique, ni résoudre les problèmes de diversification de l'économie nationale, d'élargissement de la nomenclature des exportations, de volonté des exportateurs nationaux de travailler selon les normes internationales, d'augmentation de la productivité et de qualification de la main-d'œuvre.
Nikolay Kuzmin, Politologue
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